LE DOUTE
Les sociologues s’appliquent de nos jours à dénoncer l’insécurité comme l’un des principaux fléaux de notre époque contemporaine. Certes, il serait inconsidéré de nier la résurgence de ce phénomène, engendré par toutes les périodes chaotiques ou charnières de notre histoire. Cependant si chacun peut être amené aujourd’hui au constat de cette évidence, largement stigmatisée par les médias, il est une autre insécurité tout autant à craindre que celle qui menace parfois nos conditions de vie ou celle qui sévit dans les rues de nos cités, séculaire aussi celle là, que nous enfantons en nous-mêmes et qui se nomme LE DOUTE.
Le doute est l’insécurité qui attaque tout notre être, et se révèle ainsi très difficile à combattre puisque nous en sommes à la fois l’agresseur et la victime. Terrible assaillant qu’aucune force extérieure ne peut maîtriser, nous laissant seul, livré dans la bataille. Le doute est né dans l’essence même de l’être humain et fait partie de sa dualité.
S’il est un domaine où le doute frappe en imposant toutes ses lois, c’est bien la croyance en l’Après Vie, qui tel un ouragan, peut se révéler aussi destructeur, puisqu’il lui arrive parfois, et paradoxalement, de faire une incursion pernicieuse dans la certitude. Il est le grain de sable qui vient gripper le mécanisme bien huilé ; ne dit-on pas que même les plus grand Saints ont dû subir ses cruelles offensives… ? Il est ardu le chemin qui mène à l’abri de ses assauts, mais certainement voulu si l’on considère que tout ce qui est forgé de grande lutte constitue la valeur intrinsèque de l’acquis. Ce doute là nous fait osciller entre chaque plateau de la balance qui détermine l’influence de ce qu’il nous faut croire. Sur l’un, la pesée par autant de poids ajoutés comme le ressenti, l’intime conviction, l’enseignement religieux, le Spirituel, la métaphysique et la Foi ; auxquels sur l’autre plateau sont mis en opposition : le matérialisme, la raison, le cartésianisme, la science, l’empirisme et le nihilisme, qui servent de tare pour un équilibre qui perturbe considérablement le nôtre.
Le doute est bien souvent une réaction d’auto défense, une protection de notre mental face à des phénomènes qui heurtent notre rationalisme ; il devient un processus psychologique. Mais paradoxalement cet implacable ennemi pourra se transformer, éventuellement, en une sorte d’allié, puisqu’il peut aussi nous pousser à chercher plus loin encore, pour peaufiner nos investigations qui affaibliront ses attaques.
Cette incertitude qui peut parfois tarauder nos entrailles a trouvé une virulence particulière dans cette autre concomitance toute contemporaine qui met en opposition science et Foi. Depuis toujours, depuis qu’il a la faculté du raisonnement, l’être humain a cherché à comprendre la philosophie de son existence. Mais le développement de la connaissance scientifique a remis en question les enseignements de la Révélation.
Pour s’édifier, la science en général a besoin d’avoir recours à la raison, au rationnel et à l’empirisme, car le mode de connaissance spécifiquement humain est le raisonnement qui permet de parvenir à des vérités démontrées d’après les règles de la cohérence, ou plutôt de « notre » cohérence, comme de notre physique.
La véritable science est méthodique, mais bien souvent aussi l’orgueil nous empêche d’accepter que notre raison puisse avoir des limites, et que ces démarcations fassent aussi partie de l’homme. Pascal l’a exprimé dans une de ses pensées : « la dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. »
De même l’acceptation d’une possible intelligence divine se dérobe à la raison humaine, et lorsque nous la concevons, nous devons nous en remettre à ce que nous nommons la Foi. Mais, pour beaucoup, ce fait est inacceptable car la Foi n’est pas empirique. Si cette croyance informelle peut affirmer certains postulats, elle s’exempte cependant de démontrer leur principe. Néanmoins, il faut admettre aussi que la raison ne permet pas de tout connaître, et arrivé à cette frontière nous devons alors nous en remettre à la Foi pour parvenir à la vérité de l’existence de Dieu, d’une force supérieure ou quel que soit le nom que notre entendement lui attribue, et ainsi de même à la conséquence de notre immortalité.
Se satisfaire uniquement des données de la science, ferait naître en nous un sentiment encore plus cruel d’angoisse et de désespoir. Pour un grand nombre, croire en Dieu exigerait d’outrepasser les bornes du mental que leur lucidité terrestre les empêche d’accomplir. Pourtant, cette même acuité devrait les porter à s’interroger sur le fait qu’aucune science n’est en mesure de comprendre tout ce qui est du domaine des sentiments qui régissent nos émotions et font partie du ressenti, c’est-à-dire de l’intangible et de l’impalpable. La science se révèle dans l’incapacité de démontrer leur principe de vie, et pourtant ils existent, nous en éprouvons tous.
Une réflexion qui peut conduire à la conclusion que science et rationalisme se limitent au monde visible de la matière, puisqu’ils sont dans cette inaptitude à démontrer ou à expliquer le vécu de ces nombreuses réalités abstraites.
Le doute exacerbe aussi notre dualité principalement après l’envol d’un être aimé
Jusqu’à cet instant, si le débat a pu se poser, il se résume à savoir qui des deux, entre science et enseignements de la Révélation, a le plus d’arguments pour défendre sa thèse. Cela fait partie de la réflexion philosophique. Mais lorsque nous avons mis le pied sur le chemin de douleur après la séparation que nous impose la mort terrestre, ce dilemme devient crucial, non seulement pour connaître le pourquoi de notre destinée, mais surtout pour acquérir encore plus de force. Davantage de résistance qui nous permettra de poursuivre face à l’épreuve qui nous terrasse, et nous donnera de surcroît la volonté de ciseler de nouvelles croyances. N’oublions pas non plus que nous sommes les propres architectes de nos certitudes.
Pour croire à l’irrationnel, il faut renoncer à soumettre la Foi à l’esprit critique de la raison et penser plus avant. Foi et raison ne sont pas incompatibles puisque l’une reprend là où l’autre doit s’arrêter. Nous avons tous notre potentiel d’acquis gravé dans le marbre de la certitude par la vérité de nos ressentis, les rationalistes appellent cela l’inconscient en le considérant comme une seconde intelligence exclusive à notre être. Mais, si cette intelligence nous était propre, nous devrions pouvoir la contrôler. Or les soi-disant émanations de notre subconscient ne sont pas prévisibles. L’inconscient ne peut être appréhendé rationnellement, la psychanalyse tente ou plutôt se hasarde à l’interpréter, mais peut-elle être sûre que cette interprétation n’est pas purement subjective, puisqu’elle peut varier en fonction de la personnalité de chacun ? Ce fameux subconscient ne serait-il pas plutôt le sanctuaire où une autre Intelligence agit et nous parle ?
Les manifestations de nos aimés depuis l’autre côté du voile ne peuvent être imputées aux émanations de ce subliminal telles que les conçoivent quelques scientifiques et les gardiens du rationalisme. Il y a d’une part des preuves indéniables qui vont à l’encontre des lois de notre physique et de la logique des raisonnements, mais aussi cette certitude absolue qui ne peut se décrire avec des mots et qui provient de chaque atome de notre être. Ou, encore, cette conviction sculptée par des instants privilégiés qui nous transcendent, parce qu’ils nous ont dans un espace temps, reliés d’âme à âme avec l’être cher qui nous a précédé dans cette Autre Dimension. Mais de surcroît parce qu’aucun bonheur terrestre ne procure une telle intensité qui est le souffle d’un moment, le privilège d’une communion avec une autre dimension. Tous les facteurs qui tendent vers une recherche complète de cet « Ailleurs », ne se trouvent pas concentrés uniquement entre les quatre murs d’un laboratoire, et certains scientifiques ou chercheurs, devraient savoir qu’il peut être parfois constructif de redescendre de temps à autre de l’olympe, parmi nous les simples mortels ( physiques seulement, bien sûr).
Nier tous les faits qui font partie d’un entendement qui nous dépasse, comme disconvenir de l’existence d’une autre Intelligence, quel que soit encore une fois le nom que l’on peut lui attribuer, revient à dire que notre propre existence et le monde même répondent à l’absurde, et n’ont alors aucun sens. Un monde aberrant serait aussi difficilement acceptable selon les critères même du rationnel. Or tout dans l’univers, absolument tout, aussi bien en dehors de l’homme démontre l’ordonnance parfaite, que ce soit le règne animal et végétal ou encore minéral, comme les lois qui régissent le cosmos, sont tous l’expression de l’agencement parfait d’une Intelligence qui nous surpasse.
Dans les prémices de mes recherches j’avais pris connaissance d’un texte concernant l’affirmation de cette théorie : « Qui pourrait dire que tout cela est le produit d’un pur hasard, croire que nous vivons, pensons, travaillons et aimons en vain, serait difficile à admettre puisque alors nous n’existerions pour rien et qu’à tout ce que nous faisons répondrait l’absurde. ».
Mais j’avais lu aussi l’anathème de cette pensée dans ce que disait Albert Camus : « qui voyait dans le mythe de Sisyphe, ce personnage de la mythologie grecque condamné par châtiment divin à rouler un gros rocher jusqu’au sommet d’une montagne, d’où il retombe toujours, obligeant Sisyphe à recommencer sans fin, une illustration de la condition de l’être humain qui passerait son existence à répéter des gestes absurdes parce que notre vie n’aurait aucune signification. »
Mes convictions acquises par vingt huit ans de recherches, me font dire que l’attitude possible devant cette croyance serait la révolte, qui, seule, peut réagir à l’absence de Dieu, comme le pensait encore Pascal lorsqu’il écrivait aussi : « La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. »
L’unique révolte que nous devons avoir est celle érigée contre la désespérance. Sans l’existence de cette Force Supérieure, que personnellement je nomme Dieu, comme celle toute aussi formelle de notre immortalité, les exigences morales perdent aussi tout leur sens et toutes leurs valeurs. De sorte que nous devons accepter, encore une fois, de recevoir comme possible, les limites de nos facultés de connaissance ; au-delà de ses frontières la Foi seule peut répondre à nos interrogations.
Ne laissez pas le doute envahir votre esprit, car le réconfort et l’espoir que nous avons un jour éprouvés, ne sont pas des sentiments d’une hasardeuse émanation de notre raison, mais dépassent tout entendement quand ils arrivent à fleurir au sein même du plus profond malheur.